C’est drôle, mais en fin de compte l’on peut mentir pendant que l’on remplit ce questionnaire, suis-je vraiment la seule à y avoir penser ?

☆ Comment les autres vous voient ? Je ne sais pas, je pense mal ? Peut-être qu’ils ne me supportent pas, ce regard… Il est toujours fuyant, voyez-vous ? De biais, continuellement de côté à ne pas supporter que je lui réponde. Ils me toisent, tous insistants, dans les couloirs, ils n’empruntent pas le même chemin. Vous pensez qu’ils ne m’apprécient pas ? Il parait que je me glisse dans les ombres pour éviter le contact, je ne me rends pas compte de mes qualités. Il est vrai que j’oublie la plupart du temps de demander aux abords des prémices d’une conversation routinière, le simple « bonjour, ça va ? ». On qualifie les gens comme moi, d’antipathiques ?

☆ Comment vous voyez-vous ? Un sujet d’expérimentation, je suis le meilleur cobaye de Madame, vous le saviez ? Elle me répète inlassablement que sans moi l’Homme nouveau ne pourra apparaître sur Ganymède. Je serai la première à quitter mon corps. Je me sens privilégiée, je jouis d’un traitement singulier, je suis beaucoup plus précieuse que les autres. Ma vie seule pèse plus lourd que la station réunit, toutes ces pauvres âmes ne sont là que pour assurer mon avenir, même de si loin, ils me pensent être leur Jupiter, je ne leur accorderai pas un regard. Je pense avoir atteint la perfection dans un sens.

☆ Que préférez-vous chez vous ? Je crois que j’adore mon visage, tendre et féminin, délicat et lisse, si reconnaissable et unique. Dans une glace, je me souris, témoin d’une homogénéité exemplaire, je suis le fruit d’une œuvre antique au passif anachronique. Ça me ravit de me rendre compte de ma beauté, peu en sont capables après tout. Évitez d’associer ce trait d’esprit à de la vanité, ne placez pas à tort une étincelle de génie dans une larme de bassesse. Voilà, je sais ce que par-dessus tout, je préfère chez moi : mon génie naturellement. Je comprendrai peut-être un jour pourquoi l’on ne remarque qu’au dernier moment ce qui est le plus évident.

☆ Que détestez-vous chez vous ? Cette jalousie qu’engendre ma personne. Elle m’insupporte à s’approprier mon nom, mes faits et gestes. J’ai cette expression faciale qu’un nombre trop important d’individus qualifient d’insupportable : ne pas mettre en action mes zygomatiques à votre rencontre n’inclut pas un besoin de surinterprétation venant de votre part. Vous savez, j’ai les épaules lourdes de ses messes-basses et des sueurs froides de cette discorde générale. Si je trouvais du temps pour vous demander le pourquoi du comment, la situation se dénouerait heureusement. Dans le fond, j’ai été la victime de ces vils plaisantins ; un abus de confiance s’est installé entre nous, à vouloir me prêter mille et uns comportements auxquels je dois répondre, j’en viens à reproduire ce que vous redoutez. Mais savez-vous vraiment ce que vous désirez ?

☆ Que voudriez-vous changer ? Vous changez ou réussir à vous chasser comme des miettes imaginaires au bord d’une nappe en dentelle. Je ne veux plus vous voir ou seulement quand je vous demande. Après une dure journée de travail, il me serait tellement agréable d’expirer de soulagement des suites de votre départ. Alors, oui, je suis lieutenant, mais à moins que je ne me trompe, je ne trouve pas ce titre à côté de servant dans le dictionnaire des synonymes. Qui a besoin de l’autre dans l’histoire ? Moi et vous ou vous et Moi ? Je ne suis pas sûre que réaliser mes fantasmes m’envahirait de satisfaction et pourtant… Ils s’efforcent d’attendrir mes mollets en arrondissant le dos.

☆ Présentez-vous des particularités physiques ? Ma cuve présentait un défaut, de fabrication ou de règlement qu’importe ! Laissons de côté le manque de professionnalisme de la station, il est d’un commun de rencontrer ce genre de difficultés. Du moins, normalement pas au niveau des cuves. Le destin en décida tout autrement, du bout de sa majestueuse baguette, il changea les données. Résultat, je présentai rapidement une malformation hormonale. À l’adolescence, je ne pus grandir correctement, mon corps stagnant entre l’enfance et la pré-adolescence. Mes caractères sexuels se développèrent suffisamment pour qu’on puisse m’identifier en tant que femme, sans arriver à terme. J’en suis stérile, certes et cela devrait m’affecter, mais j’attends encore.

☆ Partagez-vous le mode de pensée de votre Commandant ? Madame ne réaliserait pas le tiers de son œuvre sans moi ; je veux dire par là que si je suis honnête deux secondes, je remarque aisément les bienfaits de ma présence à ses côtés. Nous sommes deux, mais un et l’une comme l’autre ne pouvons réellement évoluer seule. Je ne partage pas son mode de pensée, je suis l’extension de son mode de pensée, sinon pourquoi se serait-elle précipitée vis-à-vis de ma promotion ? Je vous le demande. Nous avancerons mains dans la main, écraserons les misérables sur notre passage et sculpterons le marbre de notre réussite.

☆ Quelles sont vos peurs, vos phobies ? Aucune. Nous remarquerons que le sujet ne sait plus où poser son regard, c’est encore s'il ose à peine se racler la gorge. Son cœur s’affole et dans ses yeux passe une étrange lueur. Elle énonce une première fois calmement son désir d’arrêter tout de suite le questionnaire. Nous ne pouvons réagir. Face à ce silence de notre part, elle insiste, encore, doucement. Toujours rien de notre côté, elle ne semble pas feindre la compréhension de l’ultime nécessité d’arriver au bout. Une troisième fois, celle de trop pour le sujet, elle hurle, crie, s’arrache de la cabine. Depuis, cette partie ne nous répond plus et nous ne pouvons l’actualiser.

☆ De quelle façon gérez-vous le stress ? Je ne peux pas ressentir le stress, il glisse sur ma peau, s’effraie de mes paroles, sursaute si je le remarque et fuit quand je lui adresse la parole. Pourquoi aborder cette question du stress, que rechercher-vous au juste ? À nous mettre à l’épreuve, retourner contre nous les réponses que l’on peut vous dresser innocemment ? Pendant un tête-à-tête, ce n’est pas moi qui stresse, retenez-le bien, c’est celui ou celle devant moi ne peut assurer la tenue du regard que je lui dresse. J’écrase et élimine de sang-froid les faibles, si bien entendu la nature n’est pas déjà passée sur ces pauvres âmes. Je suis fatiguée de terminer le travail à la place des autres.

☆ Êtes-vous à votre aise au sein de la station ? Il ne faut pas s’inquiéter voyons, je ne vais pas débarquer en plein milieu de l’aile secondaire armée d’une arme blanche pour éventrer tous ceux autour de moi. Si un jour, j’entame une telle manœuvre, je m’assurerai de tuer un maximum de personne sans me faire prendre bien entendu et tuer en évitant la souffrance sera une de mes priorités, je vous le promets. Ne m’associez pas à un monstre tout de même et puis si j’en viens effectivement un jour à agir de manière si fatidique, on avisera ensemble sur le moment, non ? Je plaisante. Il n’arrivera pas à mon cerveau de se déconnecter de cette manière en omettant les règles de vie commune.

☆ Quel comportement ou fait vous met en colère ? Le mensonge. Je ne me targue pas de savoir déceler la vérité là où elle ne risque pas de poindre, mais en toute franchise, trop peu savent mentir. Bien mentir ne me présente pas de souci, par contre entretenir le contact avec une personne qui de fait me ment ouvertement, inconsciemment ou sciemment (là n’est pas le problème), mais si je le remarque moi-même, je ne pourrai réprimer une envie toute personnelle de le détruire. Le travail mal fait, l’incompétence, misère ô misère épargnez-moi la vue de l’inexpérience. Si je pars sur cette idée, l’expérience, de mon point de vue, n’assure pas l’utilité. Je m’use à être entourée de sots.

☆ Quels valeurs dictent votre pensée, vos faits et gestes ? La droiture d’esprit, la justesse du jugement, ne fait aux autres que ce dont tu es capable de rendre. Tends l’autre joue si de ton autre main, tu as de quoi éclater la face de ton agresseur. Donnes en simple pour payer ce que tu as pris au quintuple. Complimente toujours avant de demander à ton voisin du temps pour toi. Tu rendras toujours service aux faibles en les utilisant, ils éviteront de noyer leur entourage sous leurs problèmes. Si pour autant, ils ne se rendent pas compte de ce que tu fais pour eux, conseille-les de la meilleure façon qui soit pour qu’ils se donnent la mort sans ennuyer. Partagez ces quelques adages triés sur le volé, ils rendront bien des services.

☆ À quoi tenez-vous le plus ? Dans les abysses, une créature arrive la tête entre les mains, je m’approche et immédiatement la créature m’agrippe le poignet. Je hurle devant ses yeux de poissons, la stupidité qui y règne est telle qu’elle m’aspire entièrement. Parvenant tout de même à reprendre raison, je m’extirpe, non sans devoir devenir violente, de son étreinte. Je m’époumone désespérément à lui ordonner de me laisser tranquille, rien n’y fait il continue de me regarder fixement. Je ne tiens plus je les lui arrache, ses yeux morts de toute once d’intelligence. La scène, je vous l’avoue, n’a rien de beau à montrer, j’en suis même désolée pour ceux qui y s’attarderont (car les curieux ne s’épargnent rien). Ah pardon, je me perdais dans le conte de mon récent songe, vous disiez ?

☆ Qu’aimez-vous faire durant votre temps libre ? Sentir contre ma peau mes cotonneuses couvertures, me rouler entièrement nue dans mes couvertures, dormir, dormir et encore dormir. S’arracher à la réalité par le biais d’un oreiller est la plus merveilleuse découverte que j’ai pu faire durant ma courte vie. Se retrouver avec soi, sans pollution extérieure, pouvoir se parler à haute voix, le plus naturellement du monde. Évacuer ses frustrations de la journée, devenir le blanc bourreau des plumes, laissez sa violence libre de tout jugement, comme cela me remplie de joie, vous n’imaginez pas ! D’ailleurs, je commence à avoir sommeil, c’est terriblement long à remplir cette paperasse.

☆Comment votre enfance s’est-elle passée ? Dois-je répondre, bien ? Je présume. L’on m’a nourri, logé, éduqué, permit d’accéder aux études dont j’avais envie, rien ne s’est dressé sur ma route, sauf peut-être une personne : ma sœur. Une longue histoire inintéressante au possible. Soit, je vais rapidement vous la résumer. Je nais quelques années après elle, sans rien demander, à peine consciente de mon environnement, et pourtant, c’est précisément à ce moment-là que les problèmes commencèrent. Je ne sais pas ce que de moi, elle ne digéra pas, peut-être le culte lié à ma personne joua en ma défaveur. Nos parents, deux imbéciles et ils le sont restés malgré tout, ne voyait qu’à travers moi, sans que je ne le demande. Mon existence lui pose clairement problème à cette petite enfant.

☆Avez-vous un modèle à qui vous voulez ressembler ? Humainement parlant ? Non, je n’en ai pas, j’ai pris pour habitudes après moult déceptions, de me préférer une chimère toute personnelle qu’un modèle quelconque déjà existant. Donc si l’on fait référence à un vrai modèle, une sorte d’entité qui me fait envie à un point tel que je ne veux plus être moi en sa présence, je ne saurai vous répondre. Si je suis tout à fait honnête avec vous, cela m’est impossible de répondre. Je n’aime pas ce sentiment d’échec que je ressens, il me reste en travers de la gorge et je veux l'extraire au plus vite avant de m’étouffer. Que je m’éteigne seule, en laissant derrière moi les regrets de ceux qui m’ont perdu.

☆Quel est votre meilleur souvenir ? Elle se décolla lui laissant le temps de s’épanouir délicatement. Cette dernière s’approcha alors de son propre chef, le corps froid de l’autre ne l’empêchant pas de la serrer si fort auprès d’elle qu’elle sembla vouloir la consommer. Ses cheveux vifs noyèrent le caveau de vie révélant les ombres qui se cachent aux coins de l’œil. Elle se débattait, mais venait à elle tellement de personnes qui avait su se faire une place dans son cœur qu’elle se résolut à en laisser une de plus pour le feu qui lui consumait son intimité. Une lame s’enfoncera dans les chairs pour mettre à nue des corps qui se vêtent d’un linceul brodait d’immondices du monde des vivants. Ce qui va dégouliner de cette plaie putride ne sera qu’un sirupeux mensonge. Savez-vous où se trouve votre âme ? Il faut creuser, alors creusons, mélangeons nos entrailles, goûtons ce qui se trouvent tout à l’intérieur de nous sans se soucier des tâches. Si l’on s’aime, mélangeons-nous, qu’il prend garde celui qui aura peur que l’on voie ce qui se terre à l’intérieur de lui. Elle ingurgitera bien plus qu’elle ne pouvait, menaçant même de tout régurgiter, mais elle ne plia pas et sa volonté prit le dessus. Ceci est mon meilleur rêve à ce jour et je ne vous dévoilerai pas l'identité de la personne qui était avec moi.

☆Quel est votre pire souvenir ? Il fait froid et humide, trop humide, le bout de mes doigts flétris et ça m’est incroyablement désagréable. Les lumières autour de moi ne fonctionnent plus, seule la petite vie quotidienne clignote dehors. J’entends des bruits sans parvenir à les comprendre, je crois bien ne plus arriver à parler non plus, mais je ne m’attends pas à recevoir de la visite de toute manière. Je pleure rarement et pourtant mes joues sont asséchées par des larmes appartenant au passé. Pourquoi ? Je me le demande sans parvenir à trouver de la logique dans tout ça. Alors, je me dirige vers mon lit dans l’espoir d’y voir plus clair une fois reposée.

☆Pourquoi avoir choisi cette branche professionnelle ? Regrettez-vous ? L’éthologie est au cœur d’absolument toutes les problématiques scientifiques. Elle est une discipline fondamentale si ce n’est la plus fondamentale à mon sens. L’étude du comportement animal (dans son milieu naturel ou dans un milieu contrôlé) ne peut qu’assurer l’Avenir, oui avec un grand A, celui que l’on peut rêver sereinement tant il est possible. Comprenez-vous, j’ai pour humble ambition de faire en sorte que machine et Homme puisse s’entendre sans vouloir prendre le dessus, pour dans un futur plus ou moins proche (selon mes opportunités) faire des machines la prochaine étape d’évolution de l’Homme. Je suis celle qui en discours comme sur papier saura trouver les mots pour vous rassurer.

☆Comment vous-voyez vous dans vingt ans ? Encore plus belle, encore plus géniale et autonome, un véritable modèle à suivre pour toute personne de bon goût. Je m’imagine devant ce même miroir à m’admirer pour tout le parcours que j’aurai parcouru est plus encore. Je saurai me remercier de ne pas avoir lâché prise, d’avoir su ignorer les mauvaises gens, de m’être battu tout simplement. Que voulez-vous je ne peux pas me penser dans un mauvais avenir, loin de là, pas avec toutes ses merveilleuses qualités qui sommeillent en moi. Ce qui m’intrigue par contre, sera l’état de ce même questionnaire après tout ce temps. S'il venait à en avoir les données corrompues, cela posera-t-il problème ?

☆Avez-vous des remords ? Il y a environ une dizaine d’années, ma sœur dépassa les bornes une énième fois, alors pour ne plus l’entendre gémir (comme elle le fait trop souvent), j’ai attrapé sa frêle gorge, posé mon genou sur sa poitrine (pour bloquer sa respiration et ainsi éviter de recevoir un mauvais coup) et j’ai placé mes mains de télés sortes à comprimer ses cordes vocales. La scène ne dut pas durer longtemps puisqu’elle est encore parmi nous, mais sur le moment je me suis mortellement ennuyé, je n’en pouvais plus. Elle se débattait comme une de ces sales bestioles en quête d’un second souffle pour perpétuer sa connerie. Si au dernier moment, je ne m’étais pas rappelé que pour mes ambitions futures un cadavre me gênerait, j’aurai terminé proprement le travail.

☆Comment imaginez-vous l’avenir de la station ? Morte, enfin elle était vouée depuis le début à périr, ses habitants à bord de préférence. Qui a cru que ce projet était une bonne idée, on ne se le demande que trop peu. Au contraire, les commandants prirent la meilleure des décisions, Madame naturellement en avance. Je viens enfin à bout de ce maudit questionnaire, je ne vois pas pourquoi au vu de ma profession, devrais-je aussi le remplir. Je comprends, vous sous-entendus et les entourloupes qui se cachent entre les mots. De ce fait, comme vous avez semblé me prendre pour une imbécile, j’ai fait de même. Mes réponses ne sont ni totalement fausses, ni totalement vraies, ni totalement dans la réalité ou le rêve. Si l’on joue, c’est seulement à deux.